L'urgence gériatrique : un problème incontournable avec la crainte du risque de "perte de chance"
Du fait du vieillissement de notre population, la présence déjà importante des personnes
âgées dans l'hôpital va s'accroître dans les prochaines décennies.
Déjà plus de la moitié des personnes admises dans les hôpitaux ont plus de 60 ans !
L'impact social des principales maladies chroniques (notamment de la maladie d'Alzheimer)
est devenu un facteur de préoccupation majeur de tous les établissements de santé. Pour
autant il ne faut pas négliger la médecine d'urgence gériatrique où se jouent - parfois
en quelques jours - non seulement le pronostic vital mais aussi dans bien des cas le
pronostic fonctionnel au décours du motif initial de l'admission.
L'âge civil n'est pas le seul critère d'orientation.
Un grand nombre de personnes âgées seront accueillies et bien traitées dans des services
de spécialités non-gériatriques. Mais il faut par contre être très attentif à la situation
des plus vieux car c'est parmi ceux-là que se trouvent les sujets "fragiles" qui, par leurs
particularités physiologiques, psychologiques et sociales, risquent le plus d'être déstabilisés
par une hospitalisation en urgence.
La qualité de la prise en charge dans les premières heures ainsi que l'orientation dans
une filière gériatrique adaptée conditionnera alors fortement le pronostic fonctionnel.
Développer les services de gériatrie aiguë permet de mettre en œuvre conjointement aux mesures
diagnostiques les prises en charge rééducatives qui éviteront une hospitalisation
de longue durée.
La peur du "vieux à l'hôpital" repose parfois sur de mauvais arguments :
Certains médecins ou soignants ont des a priori négatifs sur l'efficacité des soins aigus
chez les sujets âgés, en réaction - et par crainte d'être mal accueillis - certains malades
ou leur famille hésite à avoir recours à une hospitalisation.
Même si l'hospitalisation - du fait de l'âge - comporte des risques supplémentaires,
la possibilité ultérieure de maintenir longtemps une personne âgée malade au domicile
dépend parfois d'une courte hospitalisation où la mise en route de thérapeutiques efficaces
évitera des évolutions trainantes.
Les médicaments soignent les très vieux aussi bien que les très jeunes, ils ne font pas -
eux - de "gérontophobie" !
Il existe cependant une différence importante entre "l'hospitalisation abusive"
et le "recours abusif à l'urgence" que l'on constate dans bien des cas :
Si plus de 90 % des admissions de personnes âgées dans les services d'urgence
sont motivées par un problème médical réel, près de 20 % de ces admissions dans
certaines études sont "le fait d'une pathologie - ni aiguë ni grave - qui aurait pu
se passer de la filière urgence".
L'hospitalisation - même en urgence - doit être optimisée afin de devenir une étape du
retour au domicile :
- en évitant à chaque fois que cela est possible le passage par le SAU par
une coordination préalable entre généralistes et gériatres,
- en dotant les services d'urgence de personnels sociaux qualifiés
susceptibles de déclencher sans retard les mesures sociales que
nécessiteront le retour au domicile du patient qui vient d'y être admis,
- car la durée du séjour à l'hôpital d'une personne très âgée peut se décomposer
en un temps médical et en un temps social : ce dernier temps est incontournable
car si l'équipe soignante pré-éxiste à l'hôpital - en ville l'équipe soignante
est "virtuelle" et doit se construire autour de la personne âgée en situation
de dépendance nouvelle ou aggravée.
Enfin, il faut comprendre que nombre d'admissions "en urgence" ne sont que le
constat de situations de crises chroniques où l'aggravation des pathologies
(augmentation des dépendances, épuisement des aidants) fragilisent ou rendent
impossible le maintien au domicile. Anticiper ces urgences sociales éviterait
qu'elles ne pèsent injustement sur les services hospitaliers.
Une anticipation des situations de crise, un meilleur travail en réseau avec
les médecins de ville, une évaluation gérontologique dès l'admission aux urgences
ainsi qu'un développement des unités de médecine gériatrique aiguë encore trop
peu nombreuses ou dotées de personnels insuffisants apparaissent comme autant
d'axes de travail pour que l'urgence gériatrique fasse moins peur... à tout
le monde et si possible au patient !
Dix mesures urgentes de nature à rendre l'urgence gériatrique moins problématique
- Eviter si possible le pavillon d'urgence (SAU) : augmenter l'hospitalisation
directe en médecine gériatrique aiguë.
- Etre plus - être mieux - joignable : prendre le temps d'un appel aux gériatres pour trouver
une solution alternative au SAU.
- Mais ne pas laisser se dégrader des situations par peur de l'hospitalisation.
- Ne pas faire supporter au SAU les urgences sociales (7,5 % d'admissions sont
non justifiées médicalement).
- Développer pour ces dernières des possibilités d'hébergements temporaires accessibles en urgence.
- Enseigner, à tous les professionnels de santé (qu'ils travaillent ou non en gériatrie)
- les risques liés à l'hospitalisation chez la personne âgée dépendante ou fragile.
- Réfléchir avant de faire sortir une personne âgée d'un service de spécialité, si les
conditions du maintien au domicile sont bien réunies
- Réfléchir avant de "renvoyer" une personne âgée à l'hôpital (bénéfice réel à espérer ?).
- Accompagner chaque hospitalisation d'une personne âgée dépendante de son dossier médico-social.
- Accorder aux services de gériatrie qui sont en première ligne les moyens matériels et surtout
humains de remplir les tâches qui leur incombent.
Docteur G. Dubos
Gériatre
CHU Grenoble
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