IGD N°40 : De la plainte à l'écoute

La plainte mnésique



Deux cas de plaintes mnésiques se présentent :


Le premier est celui de l'oubli bénin. Il donne lieu à une plainte importante, même lorsqu'est formulée à la personne l'absence de dysfonctionnements mnésiques significatifs, dont l'évaluation psychométrique et clinique démontre le caractère banal et isolé. Cette plainte est souvent colorée d'angoisse de détérioration intellectuelle et d'affects dépressifs. Elle est l'expression d'une réelle souffrance psychologique mais déplacée sur le fonctionnement de la mémoire bien que la personne dispose des ressources intellectuelles normales à son âge.

La personne souffre de se trouver en décalage avec sa propre norme de fonctionnement préalable, éprouve de la colère contre elle-même, et de la déception, voire de la honte, devant des défaillances inattendues ; la représentation de soi, à ses propres yeux, l'estime de soi, sont fragilisées par l 'évolution normale de la mémoire avec l'âge. Aussi, l'angoisse d'être moins apprécié, moins reconnu par son réseau relationnel, moins aimé, est-elle activée chez le sujet, et d'autant plus que la réalité du vieillissement est déjà celle de la vulnérabilité des liens noués jusqu'alors : retraite, veuvage, éclaircissement des réseaux familiaux et amicaux, etc., nourrissent l'angoisse de séparation et d'abandon.

La " plainte-mémoire " demande donc un traitement adéquat, en trois volets : l'information de la personne sur son fonctionnement mnésique, face aux normes de sa classe d'âge, qui autorise une baisse de l'angoisse de détérioration, une hausse des possibilités d'attention dans la vie quotidienne, une meilleure intégration des données à mémoriser ; l'écoute bienveillante de l'entourage, familial et/ou professionnel, face aux événements de vie douloureux pour l'individu, est une aide nécessaire à son travail de deuil ; enfin, la stimulation des fonctions cognitives, engendre la reprise de confiance en soi du sujet, comparant ses performances réelles à celles d'autrui, et notamment dans le cadre d'un groupe : les ateliers-mémoire se révèlent d'excellents outils psycho-socio-thérapiques.

* * *

Le second cas de " plainte " mnésique est celui dans lequel la personne débute une détérioration intellectuelle globale. Il ne s'agit pas, d'ailleurs, ici, de " plainte ", déposée par le sujet contre sa mémoire, mais plutôt d'une plainte portée par l'entourage, familial ou professionnel, repérant des signes de dysfonctionnement intellectuel, (troubles de la mémoire immédiate, erreurs d'orientation temporelle et spatiale, difficultés d'exécution d'une activité pourtant quotidienne, etc…).

Chez la personne concernée, on constate, le plus souvent, le déni de ces symptômes initiaux, la sidération devant les tests visant à les évaluer, le mutisme face à cette réalité angoissante, l'agressivité envers la famille signalant les problèmes devant l'individu ; dans sa vie quotidienne, l'apathie et le désintérêt croissent vis-à-vis d'un bon nombre de ses activités, rôles et relations. Le fonctionnement mental tout entier souffre du désinvestissement massif du présent, aux plans physique, intellectuel, affectif, occupationnel.

Il y a nécessité de ne pas négliger cette problématique à haut risque, car les symptômes sont sources d'angoisse forte pour la personne, inhibitrice des fonctions intellectuelles, blessant gravement l'image de soi et lézardant le socle narcissique de la personnalité ; l'évaluation la plus précoce possible par les professionnels compétents permet la pose du diagnostic, l'information du sujet et de ses proches, la proposition de traitements médicamenteux " freinant " la détérioration cérébrale.

La souffrance psychique de l'individu et de sa famille est intense et demande des soins appropriés ; l'étayage de l'estime de soi de la personne malgré sa symptomatologie, et la préservation de l 'amour des siens sont les objectifs majeurs de l'accompagnement que réalisent l'ensemble des professionnels à domicile et en établissement ; sur le plan mnésique, les médiateurs pertinents sont ceux qui s'avèrent investissables par le sujet lui-même et ses proches. (Par exemple : établir la généalogie familiale, reconstituer la chronologie existentielle, commenter les albums-photos, évoquer lectures ou chansons préférées, etc. ; …).

Les " bons outils " sont ceux qui vivifient les traces mnésiques en mobilisant , avec prudence et bienveillance, les affects, représentations de soi et d'autrui, repères temporels, données sensorielles, etc. …, relançant ainsi, de manière liée, les processus mentaux (comparaison, différenciation, association, synthèse, etc.) et les liens affectifs actuels du sujet.
Michèle Myslinski
Psychologue - Maître de Conférences en Psychologie
Université de Grenoble II

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