Un monde où il n'y aurait plus que des vieux
(ou... la vieillesse en plein boum)
Lorsque me fut demandé de rêver sur le thème "Le jour où il ne restera que des vieux",
il me fallut peu de temps pour le découvrir aussi effrayant que Dracula et, heureusement, aussi
inimaginable qu'une droite en lacets. En revanche, il se passe réellement quelque chose
d'invraisemblable : pour la première fois, nous, les vieux, représentons l'avenir d'une société.
Implacablement, la démographie, la démocratie aidant, nous promet le pouvoir. Et quand nous
l'aurons, tout frais sorti d'urnes préfigurant les funéraires, ils n'auront plus qu'à bien se
tenir, les jeunots, les actifs ! A eux les 45 heures de travail par semaine et la retraite à
70 ans ! Même pour les fonctionnaires ! C'est dire que la situation est dramatique !
J'avoue au passage que le mot actif, les concernant seuls, me chagrine un peu, insinuant que
nous passons notre temps à le regarder passer. En réalité, nous nous livrons à des activités
grandioses à côté desquelles les travaux d'Hercule s'apparentent à des "petits boulots"
rêveurs de postulant au R.M.I. Tel qui, l'an passé, a "fait" l'Egypte et ses pyramides,
ne rêve que de "faire" la Grèce, ses temples et ses mythes. Tel qui, a "fait" la Patagonie
en trois semaines, envisage, pour se détendre de "faire" les chutes du Niagara en quinze
jours. J'en connais même un qui, dans la même année, a "fait" la Thaïlande, l'amour, son
jardin et un infarctus. On ne saurait être plus occupé.
Les statistiques s'affolent. C'est sans doute dans cette perspective que les Américains ont
imaginé des agglomérations strictement réservées aux retraités dans un luxe de confort et
de loisirs à rendre morose le plus édénique des films publicitaires.
Ces villages ne sont que des prototypes. On y aperçoit encore des enfants venus voir leurs
grands-parents dans leur zoo. L'instituteur d'ailleurs en profite pour leur faire rédiger
un compte rendu de leur visite dans le parc d'acclimatation gérontologique. A partir de
cette innovation, on peut en imaginer le développement logique. Une clôture électrifiée
d'un "design" irréprochable et flanquée de gracieux miradors assurerait un sommeil à
l'abri des rêves. L'informatique permettrait avec l'extérieur la communication nécessaire
et la robotique se chargerait d'acheminer les services et fournitures hors de tout contact
avec un livreur éventuellement atteint d'une insolente jouvence. La télévision ne diffuserait
que des informations conformes aux droits de l'homme au confort de l'indifférence. Une salle
d'euthanasie, dite "Boudoir de caillavétisation" recevrait les bénéficiaires de l'EMAMI
(élimination médicalement assistée des malades et incurables), préalablement détectés par
le banc électronique de diagnostic médical. Le temps n'y serait marqué que par les intronisations
chaleureuses des nouveaux élus et l'évanescence feutrée des partants. Bien sûr, resterait interdite
toute rédaction de souvenirs antérieurs au débarquement sur cette île située quelque part entre
la vie et la mort, à l'usage des ultimes survivants jouant les "Robinson" entre bowling et piscine
bleu azur.
Rousseau rêvait d'une société où l'homme serait "contraint d'être libre". L'heure vient du bonheur
obligatoire comme si la souffrance à visage humain ne faisait pas partie des droits de l'homme.
Charles RAMBAUD
Retraité - St-Etienne
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