La question de la convivialité interpelle tout à la fois nos modes de vie ensemble et nos
pratiques de sociabilité.
"La notion même de convivialité
renvoie aux sociétés pré-industrielles, aux communautés fondées
sur l'interdépendance de leurs membres, à un humanisme aujourd'hui désuet.
Elle repose sur un idéal
de gratuité de la relation et s'oppose aux modes de relations impersonnels, anonymes, et segmentés
qui s'imposent dans les sociétés modernes"*.
Si la question de la convivialité est essentielle pour les gens âgés, c'est sans doute que
la proximité de la fin de la vie leur impose des confrontations sans détour dans le domaine
des relations de soi avec soi et de soi avec les autres.
Mais est-il possible de penser aujourd'hui - dans un contexte de relations de plus en
plus fonctionnelles - qu'il peut exister encore des lieux de convivialité pour les plus
âgés d'entre nous, c'est-à-dire au fond, des lieux, des temps où leur existence serait
au cœur de relations d'échanges réciproques véritables et gratuites ? Est-il possible
de penser ces lieux en dehors de la sphère strictement privée des relations privilégiées
familiales ou amicales ?
Les fêtes de famille, les mariages, les communions, les enterrements sont des lieux-temps
entre parenthèses au cœur desquels le visage de chacun est indispensable sur la photo de
famille, pour assurer aux plus jeunes la transmission d'un héritage de générations qui ont
construit, au fil du temps et au fil des vies, l'identité familiale.
L'expression de la convivialité suppose l'existence d'une communauté d'appartenance
dans laquelle l'individu peut être reconnu pour ce qu'il est. Ces communautés semblent
encore existantes dans certains milieux protégés, porteurs d'une vision de l'avenir
ancrée au passé.
La commune en milieu rural peut être ce lieu porteur de convivialité. Je citerai
ici cette phrase significative recueillie lors d'un entretien avec un retraité de
75 ans dans une commune du Grésivaudan : "on n'a pas besoin d'association ici, on
est tous des associés dans la commune". Ces propos traduisent bien la survie d'une
forme d'existence communautaire dans laquelle chacun est intimement lié à l'autre ;
la convivialité étant avant tout un "mode d'être ensemble". La place publique, la salle
des fêtes sont des lieux où s'entremêlent vie privée et vie publique et c'est cette
absence de segmentation qui rend possible la convivialité.
Certains quartiers en ville, parce qu'ils sont porteurs d'une identité partagée par
un groupe d'habitants peuvent aussi jouer ce rôle. Le square, le jeu de boule peuvent
servir de lieu de rassemblement où chacun trouvera sa place dans une histoire collective,
encore en cours d'élaboration.
Ces lieux de convivialité sont informels. Car tout lieu consacré à une activité spécifique
risque d'instaurer la spécialisation des rôles et des fonctions et n'autorise pas la mise
en jeu de "tout soi". A l'exception peut-être des églises et des paroisses qui suggèrent
la "présence totale" de ceux qui les fréquentent.
Les clubs du troisième âge sont sans doute parmi les associations celles qui se
prêtent le mieux à ces échanges conviviaux dans le sens où elles ne sont pas
spécialisées et n'engagent pas seulement une part des individualités qui s'y rencontrent.
Travailler sur les espaces de convivialité implique de réfléchir aux lieux d'élaboration et
de partage d'identités, sans ségrégation et dans la conviction que chacun contribue à une
identité collective partagée. Ce travail implique une posture philosophique et humaniste
en rupture avec la vision fonctionnelle de la vie la plus communément répandue. Ce n'est
donc pas dans le registre de la nouveauté et de la modernité que la convivialité peut
être restaurée.
Les lieux de convivialité ne s'inventent pas, ils se suggèrent.
Catherine GUCHER
Sociologue Maître de conférence associée
IUT 2 - Grenoble UPMF
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