La vie spirituelle
Pour répondre et à cette question et donner un contenu à cette expression,
je me sers d'un article (1) : Paul Hennequin, philosophe, propose, pour illustrer
de façon simple ce qu'il convient d'entendre par dimension spirituelle de l'existence
humaine, la petite histoire suivante : "Un petit garçon accompagnait sa maman. Soudain,
avec confiance, il lui demande : "Où est-ce que j'étais avant d'être là ?". Nullement
décontenancée, sa mère répondit : "Tu étais dans mon ventre". Le petit garçon insista :
"Oui, mais avant ?". Prise de court, la maman riposta : "Ne pose pas de questions stupides".
"Angoisse, soupira l'enfant, même ma propre mère ne sait pas d'où je viens".
Et l'auteur poursuit sa réflexion : "Si nous analysons cette attitude interrogative,
il faut bien admettre qu'elle comporte deux faces (...). Dans notre petite histoire,
si l'enfant ose insister dans ses questions, c'est parce qu'il a l'espérance naïve
que ses questions ne resteront pas sans réponse, pensant spontanément que les adultes
auxquels il s'adresse vont lui donner la réponse.
L'autre face de l'attitude interrogative est que le sens supposé n'est pas immédiatement
disponible. Si cette attitude interrogative est bien comme j'en fais l'hypothèse, le terreau
de la vie spirituelle, cela entraîne que la vie spirituelle s'instaure d'emblée sous le signe
du manque : le sens postulé n'est pas immédiatement disponible. Il faut chercher : c'est pourquoi
l'enfant demande".
A partir de cette histoire d'enfant et de son commentaire, l'auteur nous conduit au fondement
de la vie spirituelle. Celle-ci s'ébauche dans l'attitude interrogative, dans cet
"invariant du questionnement"
qui caractérise l'être homme.
Nul homme n'échappe à la nécessité de comprendre ce qu'il vit.
Sans cesse les êtres humains s'interrogent : de l'enfant qui ne cesse pas d'interpeller les adultes sur le pourquoi de la présence des choses
et des êtres, au vieillard qui "ne demande qu'à partir" parce que sa "vie n'a plus de sens".
L'attitude interrogative, constitutive de l'être homme, apparaît bien comme le terreau de la
vie spirituelle et révélatrice de la volonté de sens qui l'habite.
Poursuivons notre quête par un auteur chrétien, Marcel Légaut qui s'exprime ainsi au sujet de
la vie spirituelle (2) "... Pour moi, la vie spirituelle commence au moment où chacun d'entre nous,
à son heure, découvre en lui des exigences qui lui sont propres et qui ne sont pas la conséquence
d'une doctrine, d'une idéologie, d'une discipline, d'une imitation. Quelque chose de beaucoup plus
personnel, singulier (...), on peut avoir une vie spirituelle sans être chrétien. On peut même avoir
une vie spirituelle sans croire en Dieu (...) c'est la conséquence d'une prise de conscience".
Cette expérience "d'exigences intérieures qui montent en nous" est aussi celle d'un auteur comme
Vaclav Havel. Il l'explique à partir d'un évènement de la vie ordinaire. Il monte de nuit dans un tram.
Personne n'est là pour vérifier s'il paiera le prix de son transport puisque le règlement se fait
auprès d'un automate.
Et pourtant Havel se sent poussé à jeter sa pièce. Pourquoi agir de la sorte ? Qui parle en lui ?
"C'est, écrit Havel, le dialogue de mon "moi" en tant que sujet de ma liberté (...) avec quelque
chose qui est hors de mon "moi", qui en est séparé et ne lui est pas identique" (3).
Pour parler de vie spirituelle, il est donc nécessaire, me semble-t-il, de tenir ensemble ce qui
en fait le fondement - l'invariant du questionnement - qui est lui-même révélateur de la volonté
de sens qui habite l'homme avec la manière dont chacun répond personnellement et librement à la
question que lui pose l'existence.
Il s'agit d'ailleurs moins de se demander ce que l'on peut attendre et espérer de la vie mais
bien plutôt de savoir ce que la vie attend de nous.
Les propositions religieuses
Ayant ainsi situé la vie spirituelle, il me faut en venir à ses liens avec les démarches et
propositions religieuses.
La question religieuse est question de transcendance et se pose au cœur même de cette expérience
de la conscience, de cette voix qui parle et s'adresse à moi et qui est hors de mon moi. Expérience
possible d'une réalité en moi qui est plus grande que moi, ce que décrit fort bien Vaclav Havel qui
hésite à prononcer le mot Dieu par crainte de projeter son expérience intime et subjective hors de
lui ; il déclare qu'il ne sait pas.
Une autre expérience où l'inéluctabilité de l'événement pose avec davantage de force la question
religieuse est celle de la mort. L'horizon de la mort ne délivre pas une signification. Elle est
livrée à notre interprétation et c'est sur cet arrière fond qu'apparaissent et s'articulent les
propositions religieuses. On pourrait dire que le "religieux", c'est au fond le "spirituel" quand
celui-ci s'affronte à la mort et que se pose la question d'un au-delà, d'une destinée,
d'une finalité... comme l'écrit B. Mercier, "le religieux s'enclenche donc sur le spirituel comme
l'accomplissement possible de ce spirituel, dans une transcendance. La question religieuse est pour
tous... Les réponses à cette question sont multiples.
Elles vont :
- - de l'incroyance, la "dés-espérance" : c'est-à-dire l'acceptation, la résignation à l'inéluctable (...)
- - à la foi religieuse portée par la diversité des religions à travers la planète (...)
- - à la foi chrétienne qui se particularise parmi les monothéismes (...)".
Et l'auteur poursuit : "La modernité a rompu avec l'automatisme des réponses religieuses
précédentes. Chacun veut aller y voir par lui-même, n'accepte plus qu'on lui prescrive ce
qu'il a à faire et à penser. Il importe donc de donner droit, de redonner droit à la
question religieuse dans le devenir humain lui-même (...). De même que les "spiritualités"
sont des réponses diversifiées de sens, de même les "religions" sont des réponses diversifiées
à la question religieuse..."(4)
Donc le religieux s'enclenche sur le "spirituel" comme l'accomplissement possible de ce
spirituel. C'est bien parce que l'homme est en recherche de sens pour sa vie et plus
particulièrement questionné par le franchissement de la mort que la ou les propositions
religieuses trouvent écho en lui et qu'elles peuvent répondre à ses besoins spirituels.
Il ne s'agit donc pas d'opposer le spirituel au religieux ou de dévaluer l'un par rapport à
l'autre. Les deux ne se confondent pas et ils sont pourtant sans séparation. C'est bien sur
le terreau de la vie spirituelle, au cœur de cette expérience d'intériorité où l'homme décide
du sens qu'il veut donner à sa vie, où il fait choix des valeurs et des règles pour orienter
son action que le religieux vient prendre racine, non comme une réponse mais comme un chemin
proposé.
Père Jean-Luc Souveton
St Etienne
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