Une transformation de l'idée d'animation s'est faite progressivement mais radicalement
dans nos maisons de retraite.
Nous sommes passés insensiblement d'une animation conçue comme
la distraction d'un ensemble de personnes, à une prise en compte
d'attentes plus individuelles et plus diverses.
Cette évolution se fait sous la pression de la diminution
de l'autonomie des personnes âgées accueillies. Cette baisse
de l'autonomie peut être due à des causes multiples résumées
lapidairement en ces deux grands types que sont les dépendances psychiques et physiques.
Ces altérations des capacités produisent des effets touchant les aspects relationnels par
diminution ou interruption de la socialité, ainsi que les aspects physiques du fait de
l'immobilisation ou des altérations sensorielles, touchant jusqu'aux aspects les
plus profonds de la personnalité du fait de l'érosion de l'image de soi ou encore
d'atteintes gnosiques : perte de la mémoire, des capacités de reconnaissance ou
d'organisation rationnelle.
Sauf à être coupée de la réalité du vieillissement, l'animation en établissement
prend ces faits en compte. Elle intègre l'absolue diversité des attentes exprimées
ou des besoins devinés.
La première responsabilité et en même temps le premier risque d'une institution en
matière d'animation est donc cette constatation : il faut sortir d'une action collective,
globale pour agir d'une façon plus individualisée.
Cela exige une réflexion affinée et des propositions multiples.
C'est là où le bât blesse : une politique de préservation ou de reconstruction
des potentiels de chaque personne âgée, de valorisation, d'élargissement relationnel,
intellectuel ... est exigeante, exigeante en terme de temps, d'argent et de structuration
institutionnelle. Multiplier les réponses adaptées à chaque demande en créant et
renouvelant des sous-groupes évolutifs pour traiter avec humanité les besoins de
chaque personne démente, abandonnée, dépressive, asthénique, dénutrie ou plus
simplement inquiète, nostalgique, attristée, oisive ... exige des moyens en personnel.
Lorsqu'on voit les très faibles moyens acceptés par les tutelles pour l'animation,
on comprend que les peurs à vaincre sont non seulement la peur des surcoûts mais
aussi celles liées à l'incompréhension des objectifs poursuivis.
Pourtant,
nos établissement ne seront jamais,
quoiqu'en désigne le sigle EHPAD
(Etablissements d'Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes)
de simples lieux d'hébergement mais toujours des lieux de vie,
préservant cette vie ou la reconstruisant dans son moindre souffle et la conduisant, forte malgré
les faiblesses de l'âge, dense malgré les altérations de la maladie jusqu'au
dernier souffle.
Le risque est de ne pas être écoutés par les financeurs et de se faire entendre malgré tout.
Autre risque et responsabilité
L'animation orientée vers cette prise en compte élargie et approfondie
des besoins d'exister de chaque personne, exige une refondation de
l'institution. Les domaines mobilisés dans chaque activité d'animation
sont des lieux à risque. Développer un atelier d'écriture,
un groupe de mémoire, un groupe de marche, un atelier d'art-thérapie ...
toucher le corps, l'esprit, la mémoire, le lien ...
laisser s'exprimer des paroles, des ressentis, des émotions ...
exigent des précautions extrêmes. L'animation ne peut plus être livrée
à la pratique du seul animateur, fût-il le mieux formé du monde. Les enjeux
sont liés au projet de soin. Ils exigent l'interdisciplinarité.
On ne peut marcher en montagne sans avoir pris le point de vue du médecin,
du kiné. On ne peut animer une session de créativité sans le soutien du
psychologue. On ne peut animer un moment de souvenir ou d'adieu sans l'avis
de l'aumônier... On ne peut mobiliser le corps ou l'esprit sans que cela
résulte d'un travail préparatoire de toute l'équipe et sans que cela soit
suivi de comptes-rendus et d'évaluations réguliers.
Pour les mêmes raisons, la nécessité de supervision de l'animateur ou des
animateurs est indispensable : se mettre aux frontières des capacités et
défaillances d'autrui est une position délicate, difficile qui nécessite
une réflexion sur sa propre pratique. En matière d'animation, il faut
savoir se risquer mais il faut savoir aussi ne jamais accepter aucune
improvisation, aucune manipulation, aucune mise en danger.
A partir de là, il est possible d'expliquer à tous ce qui est en jeu et de
faire comprendre les moyens proposés. Il devient alors possible d'agréger
les familles. Revisiter les principes d'animation en postulant chez la
personne âgée des possibilités bien plus grandes que ne peuvent l'accepter
ses proches et familiers est une gageure.
Et pourtant, il n'y a pas de bonne institution sans participation de tous les
acteurs, familles y compris, acteurs indirects, parfois directs par leur présence
bénévole, de l'animation.
Ces familles vont nous confronter directement à la question du bien fondé et
du risque lors d'animations inhabituelles voire surprenantes. Re-susciter une
vie plus forte, plus dense, peut amener à des propositions un peu folles,
nécessitant des investissements physiques ou intellectuels dont on ne croit
plus capables les personnes âgées. Un séjour de vacances pour des malades d'Alzheimer,
une sortie en tramway à 95 ans, les courses en hypermarché pour des désorientés ou plus
simplement leur libre déambulation dans le parc ... génèrent autant d'interrogations sur
l'effort, le sens et le risque.
Une telle démarche ne sera admise que si les familles comprennent qu'elle
est réellement une démarche attentive, précautionneuse de la personne.
Il est donc de toute première importance d'expliciter lors de chaque admission
l'action globale de l'institution en matière de soin et donc en matière d'animation,
de faire mention des risques éventuellement encourus, des précautions de tous pour
les diminuer le plus qu'il est possible. L'expérience montre que les familles parfois
dubitatives admettent qu'indéniablement les leurs ont en fin de compte plus de vie
en eux qu'elles ne l'espéraient encore.
La question de la responsabilité en matière d'animation et de l'acceptation
du risque encouru ne passe donc pas par un effort pour composer avec des règles
de sécurité ou pour contourner les craintes des familles. La responsabilité ne
s'accommode pas de faux-fuyants.
Si l'on croit fermement en une action revivifiante de l'animation il faut le dire,
le décrire et l'organiser dans le projet de vie et de soin. Seule une démarche raisonnée
et ferme peut venir à bout des craintes et des contraintes injustifiées et rendre
possibles des moments de souffle et de bonheur jusqu'à la fin.
Jean-Paul DELHAYE
Directeur de"La Sarrazinière" - St-Etienne
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